« Les industries
de l’attention »
Dominique Boullier
Université Rennes 2, UMS Lutin, Cité des Sciences, France
Depuis 1997, avec Michel Goldhaber, l’expression « économie
de l’attention » a permis de rendre compte d’un
nouveau bien rare qui conditionne en fait toute la supposée
économie de l’information ou de la connaissance. Le cadrage
général offert par les approches d’André
Orléan permet de sortir d’une vision purement médiatique
de cette approche en en montrant les liens avec les mécanismes
de contagion propres au marché financier qui met en forme désormais
toutes les activités économiques. Une bonne partie des
investissements et des savoir-faire des industries culturelles passe
désormais dans la production de l’attention, via des
stratégies médiatiques très fines, mais avant
tout avec des visées financières de captation de publics
directement valorisables. Finances + médias = industrie de
l’attention, telle pourrait être l’équation
de cadrage général de cette question. Mais pour en parler
d’un point de vue industriel, il est nécessaire de faire
le tableau précis des médiations qui permettent de faire
tenir cette offre sous des formes diverses.
Faire la distinction entre opinion, réputation, audience,
et attention est une tâche préliminaire incontournable.
Cela nous permettra de différencier notamment deux stratégies
dominantes pour générer cette attention.
L’une consiste à fixer le travail de mémorisation
sur quelques indices sémiotiques constamment répétés
sur tous types de supports : c’est le modèle de la marque,
qui sera véhiculée par les clients eux-mêmes,
porteurs de cet attachement nouveau et vecteurs sur tous leurs biens
de noms de marques. Cette sémiotisation généralisée
présente tous les avantages de la diffusion virale, de la contagion
par mimétisme, voire par distinction, qui impacte directement
les marchés financiers puisque la logique de la création
de valeur pour l’actionnaire est désormais dominante
(Cf. Rebiscoul ou Aglietta). On comprend dès lors que France
Télecom puisse afficher la création d’un nouveau
slogan comme un investissement majeur et une innovation décisive.
Dans ce contexte, les enjeux de la mesure d’audience ne sont
plus seulement périphériques à l’industrie
culturelle, ils ne sont pas limités à la télévision
: tous les supports (internet, mobiles, TV) désormais interconnectés
et capables de diffuser tous les contenus doivent rendre compte de
ce qu’ils ont captés comme attention pour produire une
trace de la valeur supposée produite.
La deuxième piste encore sous-estimée, mais qui commence
à s’étendre, est celle qui consiste à capter
durablement l’attention, contre tous les phénomènes
de surcharge cognitive, de zapping, d’infidélité
généralisée. Une seule industrie culturelle parvient
à produire/capter de l’attention sur des durées
inégalées, l’industrie des jeux vidéo.
L’immersion, directement recherchée ou non dans le scénario
et l’interface, remplace la supposée « société
du spectacle ». Son pouvoir d’attachement est tel que
les jeux vidéo deviennent le centre d’une réorganisation
de l’offre de tous les médias (dont le cinéma
notamment) et la confusion des genres entre jeu, information, spectacle
et publicité peut devenir totale (jeux pour la vente d’une
voiture associée à un film etc..). Pour l’instant,
le support des jeux vidéo a été le seul capable
d’étendre « le temps de cerveau disponible »
à son profit et l’examen de quelques-uns de ses mécanismes,
très variés selon les jeux, permettra de comprendre
pourquoi. A partir des travaux que nous conduisons sur ce thème
dans le cadre du laboratoire des usages pour le projet Lutin Game
Lab, il nous est possible d’imaginer une réorganisation
future de toute l’offre culturelle autour de ce modèle
(information, formation, fiction, etc.).
« ; Du
cinéma à internet : narration, hypermédiation
et médiation inter-narrative »
Marida Di Crosta
Université Paris 13 - LABSIC, France >>> Télécharger le texte de la communication
Si le format numérique a déjà largement infiltré
l’industrie de la production audiovisuelle, le régime
communicationnel de l’interactivité intervient à
la fois plus lentement et plus profondément dans la pensée
cinématographique elle-même. Qu’il s’agisse
de l’écriture de scénario ou de la conception
des images, du montage, du son, la dimension interactive de la relation
auteur-œuvre-spectateur provoque des mutations importantes dans
les pratiques de création. Elle va jusqu’à transformer
le dispositif de diffusion et de réception, ainsi que le rôle
et les modalités de l’activité spectatorielle.
Auteurs, producteurs, diffuseurs, exploitants de films ne peuvent
rester étrangers à cette évolution, car ces changements
concernent tous les acteurs de l’industrie audiovisuelle –
au même titre qu’ils modifient les outils et les modes
de production, jusqu’aux modèles économiques.
Cela implique également le rapprochement entre différentes
industries et familles de métiers : l’informatique et
le cinéma principalement, mais aussi la télévision,
les jeux vidéo, l’électronique grand public, l’édition,
les télécommunications, les réseaux.
Pour l’heure, rares sont les créateurs à s’aventurer
sur le terrain des nouvelles fictions interactives. Cependant il existe,
autour du « cinéma interactif », des interstices
de création originale et audacieuse. Des expériences
qui témoignent des mutations en train de se produire, par la
rencontre du cinéma et de l’interactivité, des
recherches menées autour du devenir du récit audiovisuel,
lorsque le média interactif qui le sous-tend y exerce sa prégnance.
Ainsi, aux côtés des jeux vidéo, des nouvelles
formes de récits interactifs, s’inscrivant plus directement
dans la lignée du cinéma, cherchent à s’affirmer
: des courts-métrages interactifs sur Internet aux films-performances
interactifs en salle, en passant par les expériences d’hyper-séries
pour la télévision interactive.
Au-delà des différents médias numériques
employés pour leur réalisation et leur diffusion, ces
produits culturels ont au moins un point en commun : pour être
« réussie », leur réception dépend
des interactions avec le spectateur, et donc de l’efficacité
de leur stratégie de communication interactive. Il s’agit
dans la plupart des cas d’objets rares à caractère
expérimental et exploratoire, d’hybrides balbutiants
dont la production confidentielle et non standardisée dépasse
rarement les confins des laboratoires de recherche et des studios
de web-sociétés de production.
Une exception existe, celle des films interactifs « de commande
», financés par l’Unité Cinéma de
la filiale française d’ARTE. Depuis 2001, cette filiale
investit un petit pourcentage de son budget annuel dans le développement
de nouvelles formes de fiction. Elle a ainsi produit cinq fictions
interactives « d’auteur », dont trois courts-métrages
(en co-production avec le centre Pompidou) actuellement diffusés
sur le site de la chaîne.
A travers l’analyse des œuvres et des nouvelles pratiques
- de production, de diffusion et d’usage - qu’elles induisent,
notre communication vise à mettre en relief les effets communicationnels
de ces nouveaux produits culturels.
« Plus d’images, moins de télévision
? »
Frédéric Huet
UMS Lutin - Cité des Sciences et de l’Industrie, Costech
-Université de Technologie de Compiègne, France
>>> Télécharger le texte de la communication
D’une remise en cause progressive de la nature et de la fonction
des chaînes de télévision, on assisterait à
terme à leur éviction de la filière audiovisuelle.
Ce scénario d’une "fin de la télévision",
en tant qu’agrégateur de contenus et "maître
d’horloges" reposerait sur l’effet conjugué
de trois évolutions (cf. La fin de la télévision,
J.L. Missika) :
1- une "démédiation" qui, dans sa forme la
plus accomplie, aboutirait à une relation de vente directe
entre le producteur et le consommateur, et donc à l’éviction
des chaînes de télévision en tant que sélectionneur
et agrégateur de contenus ;
2- une dépendance économique des chaînes de télévision
à de nouveaux acteurs, notamment du secteur des télécoms
;
3- une « déprofessionalisation » de l’édition
et de la diffusion de contenus (sur le modèle des blogs) qui
rendrait la frontière professionnels/amateurs extrêmement
poreuse.
Cette mutation fait ainsi figure de « rupture paradigmatique
» dès lors qu’elle opère conjointement sur
les innovations technologiques (convergence numérique), les
usages (interactivité et délinéarisation) et
sur les modèles économiques du secteur. L’objectif
de cette contribution est de fournir une évaluation critique
de ce scénario sur la base d’une discussion des trois
hypothèses fortes qui le sous-tendent. La discussion et l’examen
des mutations et repositionnements stratégiques s’appuient
sur les données recueillies dans le cadre du projet européen
Passepartout : quantitatives secondaires et qualitatives. Des interviews
auprès d’acteurs des secteurs de la vidéo et de
l’audiovisuel couvrent ainsi l’ensemble de la chaîne
de valeur, pour questionner ces hypothèses.
Le passage d’une diffusion « push » imposée
par les éditeurs de contenu à une diffusion «
pull » pilotée par le consommateur pourrait plus être
synonyme de redéploiement et de redéfinition des fonctions
de prescription ou d’intermédiation que d’éviction
des acteurs établis ou de « démédiation
» sur la chaîne de valeur.
L’hypothèse de la fin de l’indépendance
économique pour les chaînes de télévision
rejoint-elle celle d’une dilution ou d’une absorption
chez de nouveaux entrants, plus puissants financièrement (les
opérateurs de télécommunication) ? Les mutations
observées dans certains secteurs industriels (l’industrie
pharmaceutique par exemple) montrent fréquemment que les formes
coopératives et partenariales entre acteurs (éventuellement
rivaux) sont les plus aptes à répondre aux changements
institutionnels et technologiques radicaux.
Enfin, l’importance croissante de l’édition de
contenus « amateurs » et le développement des personal
media ne peut-elle pas être sujette à une appropriation
par les éditeurs et producteurs de contenus, intégrée
dans des modèles économiques alternatifs à ceux
déjà en place. La création de valeur reposerait
alors, comme il l’a déjà été montré
pour Internet, sur les interactions externalités produites
entre sphères marchandes et non marchandes.
« La programmation personnelle comme
mutation des services et des intermédiaires de la télévision
sur IP »
Sofia Kocergin
UMS Lutin, MSH Paris Nord, France
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Le renouvellement de l’offre audiovisuelle lié au développement
de la télévision sur IP (les contenus audiovisuels acheminés
par le protocole Internet) et en particulier les offres dites de «
triple / quadruple play », risquent de modifier les modes de
financement et de valorisation du secteur audiovisuel.
Les nouveaux services agrègent dans des « bundles »
à la fois l’offre télévisuelle hertzienne
standard, les bouquets TV, des chaînes TV à la carte,
des chaînes locales, des canaux évènementiels,
de la Pay Per View, de la vidéo à la demande et de système
incluant des PVR (enregistreurs numériques).
L’offre audiovisuelle s’enrichit grâce d’une
part à la granularisation et multimédiatisation des
contenus et services favorisés par les détenteurs des
catalogues des programmes et d’autre part à la complexification
de la chaîne de valeur, intégrant des nouveaux acteurs
qui contribuent à dissocier contenant et contenu.
Les compétences de production, de programmation et d’assemblage
ne sont donc plus suffisantes pour un opérateur audiovisuel.
Celui-ci doit par exemple offrir des guides d’accès aux
programmes intégrant souvent des contenus provenant de fournisseurs
divers, allant jusqu’à proposer les créations
et catalogues multimédias personnels, réalisés
pour un usage familial ou communautaire. Deux exemples contrastés
pourront être approfondis :
OnDemand Group en Grande Bretagne se positionne entre les fournisseurs
de contenus (studios, chaînes de TV, producteur de musique et
éditeurs de jeux vidéo) et les fournisseurs de services
large bande (sur câble, réseaux télécoms,
3G mobiles, fibre optique) en offrant les services d’acquisition
et de gestions des droits, de facturation, d’agrégation
de contenus et de marketing des programmes, de préparation
à la diffusion (encodage) et de publication de métadata.
Plus à l’aval de la chaîne de la valeur, dans
le même temps, le moteur Google et le portail Yahoo prennent
des positions stratégiques dans le secteur audiovisuel. Ces
acteurs qui se cantonnent actuellement à offrir leurs services
vidéo sur Internet, mais qui proposent aussi des fonctionnalités
originales d’accès aux contenus numériques, semblent
être des véritables concurrents des acteurs traditionnels.
Selon nous, les services de télévision et vidéo
sur IP, fondés sur la logique aval privilégiant une
programmation horizontale et personnelle, remplaceraient à
terme une programmation réalisée verticalement à
travers la grille de programmes propre à chaque chaîne.
Cette individualisation de la consommation télévisuelle
repose alors sur des services, des savoir-faire et des nouveaux intermédiaires
permettant l’enrichissement de contenus et l’exploitation
des productions personnelles.
Pour répondre à ces questions, nous nous appuierons
sur un travail de recherche sur les évolutions industrielles,
législatives, économiques, et des usages de la télévision
sur IP entrepris en 2005-2006, dans le cadre du projet européen
« Passepartout » du consortium Information Technologies
for European Advancement (ITEA).
« L’archéologie aux défis
de la médiation culturelle hypermédia »
Julien Mahoudeau
CNRS - Unité Toulousaine d’Archéologie et d’Histoire,
Toulouse, France
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Les pratiques professionnelles de vulgarisation des contenus archéologiques
sont profondément modifiées par les hypermédias,
perçus comme dispositifs technico-cognitifs mettant en œuvre
des systèmes symboliques de représentation. La problématique
de la médiation culturelle hypermédia vise à
établir quelles sont les mutations des contenus, des modes
de valorisation et des modes d’usage des contenus valorisés.
Ces mutations sont induites par les injonctions politiques et stratégiques
d’inclusion des nouveaux médias dans les activités
de recherche et de médiation, autant que par la reconnaissance
progressive des potentiels des hypermédias pour la diffusion
et l’appropriation des contenus scientifiques.
En présentant des exemples d’hypermédias de médiation
archéologique, on propose une réflexion sur les nouvelles
pratiques informationnelles et les mutations induites. On s’attachera
à montrer à la fois la complexité « endogène
» des dispositifs techniques et la complexité «
exogène » des environnements dans lesquels se déroulent
les pratiques les mettant en oeuvre, c’est-à-dire la
complexité des environnements de conception et d’usage
des hypermédias. La réflexion engage une démarche
transdisciplinaire étudiant la médiation numérique
du patrimoine archéologique comme processus multidimensionnel.
On proposera alors de reconnaître que des interrogations épistémologiques
apparaissent nécessaires à la recherche se donnant comme
projet l’étude des hypermédias dans l’ensemble
de leurs dimensions anthropo-socio-techniques.
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