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« Télévision, années
1940 : quels contenus pour le nouveau média ? »
Gilles Delavaud
Université Paris 8 - CEMTI, France
Commencées à la fin des années trente, les réflexions
et spéculations sur les contenus possibles ou souhaitables
de la télévision naissante se sont intensifiées
dans la seconde moitié des années quarante, en même
temps que, avec la fin de la guerre, les émissions régulières
reprenaient progressivement dans plusieurs pays d’Europe ainsi
qu’aux Etats-Unis.
Pour analyser les discours des différents observateurs et
acteurs concernés (professionnels des médias, industriels,
critiques), trois ordres de questions nous semblent devoir être
distinguées et articulées :
- celles qui concernent l’identité des fournisseurs
de contenus :
Le nouveau média va-t-il s’en remettre, sur ce plan,
à l’industrie du cinéma ou à celle de la
radio ? Ou bien les chaînes de télévision vont-elles
produire elles-mêmes leurs propres programmes ?
- celles qui concernent la nature des contenus :
Le nouveau média va-t-il privilégier la transmission
directe, ou au contraire la diffusion de contenus préalablement
enregistrés ? Va-t-il emprunter ses contenus plutôt au
spectacle vivant, à la radio, au cinéma ?
- celles qui concernent la forme des contenus :
Comment penser l’adéquation des contenus (en termes de
formats, de dispositifs) à la fois aux contraintes et potentialités
du nouveau média, et à l’audience visée
? Quels critères retenir pour juger si, au plan de la production
comme à celui de la diffusion-réception, un contenu
a trouvé sa forme appropriée ?
Notre investigation se concentrera sur ces deux derniers points.
Il s’agira, d’une part, de comparer les propositions et
arguments qui ont nourri le débat public dans les différents
pays considérés (France, Grande-Bretagne, Etats-Unis)
; d’autre part, de confronter les discours tenus (valeurs mises
en avant, missions proclamées, craintes et espoirs exprimés)
aux diverses expérimentations et aux premiers programmes effectivement
réalisés et diffusés.
« La régulation des contenus
télévisés par la signalétique du CSA :
la place des acteurs publics dans l’activité des ICIC
»
Jean-Matthieu Méon
Université Robert Schuman - GSPE-PRISME, Strasbourg, France
Les mutations connues par l’audiovisuel français au
cours des années soixante-dix se sont largement accentuées
à la fin des années quatre-vingt : les privatisations
de chaînes de télévision ont prolongé le
processus engagé avec la fin de l’ORTF, manifestant le
retrait – partiel – de l’Etat et la libéralisation
du secteur. L’audiovisuel s’est imposé comme une
industrie culturelle jouissant de son autonomie et de la reconnaissance
de sa liberté. Une autorité indépendante telle
que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel incarne ces
mutations et la perspective régulationniste qui les caractérise.
Cette communication se propose de réfléchir à
la place effective qu’occupent alors les acteurs publics dans
le secteur audiovisuel, en s’appuyant sur l’analyse d’un
dispositif de régulation des contenus – la signalétique
télévisée – et sur les logiques de sa mise
en œuvre. Mise en place sous diverses formes depuis 1996, cette
signalétique est un produit direct des mutations évoquées.
Son existence résulte des débats qui ont accompagné
les privatisations et leurs conséquences sur les contenus des
programmes (mise en cause d’un accroissement de la violence
et de la sexualité). Surtout, elle a représenté
pour le CSA un des premiers et des principaux outils de définition
en actes de sa doctrine de la régulation de l’audiovisuel.
Le dispositif de la signalétique repose sur la revendication
d’un partage des responsabilités. La classification des
programmes selon les différentes catégories de la signalétique
est assurée en interne par chaque chaîne de télévision,
l’autorité publique (les services du CSA) n’intervenant
qu’a posteriori pour valider ou critiquer la classification
retenue. C’est ce partage que désigne le « contrôle
concerté » ou la « co-régulation »
évoqué par les responsables du CSA. Le fonctionnement
du dispositif, saisi dans notre travail empirique, donne cependant
plutôt à voir un partage contraint : ce fonctionnement
se caractérise en effet par l’intériorisation
des chaînes de télévision des principes du contrôle
qui sont intégrés non seulement dans la programmation
mais aussi, en amont, dans la production des programmes.
Dans la configuration du contrôle formée par le CSA
et les différentes chaînes de télévision,
l’instance de régulation occupe donc une position dominante.
Celle-ci est le résultat de deux logiques croisées.
Il s’agit là bien sûr d’une prédominance
statutaire, qui permet au CSA d’appuyer ses exigences en termes
de contenu sur des possibilités de sanction des chaînes.
Cependant, le respect par les chaînes des principes prônés
par le CSA se comprend aussi comme une stratégie de ces entreprises
dans les jeux de négociation plus généraux (et
notamment économiques) qui les unissent au CSA : la bonne application
de la signalétique constitue en ce sens également un
gage de bonne volonté facilitant pour les chaînes leurs
négociations conduites avec l’autorité publique
dans les autres domaines de la régulation audiovisuelle.
On voit donc que tout en intégrant une part d’autorégulation
effective et de négociation, le dispositif de la signalétique
produit une contrainte publique réelle sur l’activité
des chaînes de télévision. Au-delà de la
spécificité de son domaine (le contrôle des programmes
au titre de la protection de la jeunesse), la signalétique
permet donc de saisir les relations à la fois souples et contraignantes
qui lient l’industrie audiovisuelle et les pouvoirs publics
et de rendre compte du rôle joué par les acteurs publics
dans ce secteur des industries de la culture, de l’information
et de la communication.
Pour aborder cet objet et ces questions, nous nous appuyons sur un
travail empirique combinant analyse documentaire (presse, publications
institutionnelles) et travail de terrain (observation au sein du CSA,
entretiens avec des responsables du contrôle au sein du CSA
et des chaînes de télévision).
« L’éternel absent dont
tout le monde parle ? Une histoire de la place du téléspectateur
dans la régulation de la publicité audiovisuelle en
France (1968-2005) »
Sylvain Parasie
ENS Cachan, France
Les industries culturelles mettent généralement aux
prises un émetteur (un écrivain, un cinéaste,
une société de production audiovisuelle, etc.) avec
un diffuseur (un journal, une chaîne de télévision,
un éditeur, etc.) et un récepteur du contenu culturel
(un lecteur, un auditeur, un téléspectateur, etc.).
Ces activités sont soumises à différents régimes
juridiques qui instituent des droits et des obligations. Les pouvoirs
publics, nationaux et européens, qui ont pour tâche de
réguler ces industries, sont souvent contraints d’arbitrer
entre les différents droits. Étant donné les
transformations profondes qui ont affecté les industries culturelles
depuis le début des années 1980 – recul de l’intervention
de l’État, accroissement considérable de l’offre
culturelle –, dans quelle mesure celles-ci se sont-elles traduites
par une transformation du rôle attribué aux destinataires
des contenus culturels ? Dans cette communication, nous proposons
de répondre à cette interrogation à partir d’un
cas précis, celui de la régulation de la publicité
télévisée depuis son apparition sur les écrans
français de l’ORTF en octobre 1968. Dans quelle mesure
les nombreux déplacements qui ont touché la régulation
de la publicité audiovisuelle depuis cette date ont-ils correspondu
à une participation accrue des téléspectateurs
à cette régulation ? Afin de répondre à
cette question dans une perspective sociologique, nous nous sommes
penché en détail sur l’histoire de cette régulation,
qui jusqu’en 1986 est majoritairement assurée par la
Régie Française de Publicité (RFP), une société
anonyme dont l’État est l’actionnaire majoritaire
et qui est chargée du contrôle a priori des messages.
À partir de cette date, c’est le Conseil national de
la communication et des libertés (CNCL), puis le Conseil supérieur
de l’audiovisuel (CSA) à qui revient la charge, aux côtés
des tribunaux et du Bureau de vérification de la publicité
(un organisme professionnel du monde publicitaire), de réguler
les messages. Tous ces organismes élaborent des représentations
spécifiques du téléspectateur. De l’analyse,
il ressort que si la régulation de la publicité télévisée
s’appuie dès la fin des années 1960 sur un objectif
de « protection » du public davantage formulé en
termes paternalistes qu’en termes de droits explicites du téléspectateur,
la situation se transforme dans les années 1980, période
de bouleversements du marché publicitaire et des instances
de régulation. À cette époque, la revendication,
par les annonceurs et les publicitaires, de leur liberté d’expression,
fait que l’intérêt des téléspectateurs
est alors réputé être protégé à
travers les droits des annonceurs et des publicitaires. Enfin, depuis
les années 1990, la situation connaît une transformation
sous l’effet d’une interrogation, issue des milieux militants
et de la doctrine juridique (par exemple l’ouvrage de K. Favro
paru en 2001, Téléspectateur et message audiovisuel.
Contribution à l’étude des droits du téléspectateur),
en faveur d’une reconnaissance de droits dont les téléspectateurs
pourraient eux-mêmes revendiquer la garantie.
« Télé-réalité
et classification juridique des émissions de télévision
»
Cécile-Marie Simoni
Université de Corse, France >>> Télécharger le texte de la communication
La télé-réalité constitue aujourd’hui
un phénomène qui a révolutionné le paysage
audiovisuel français et international, mais elle doit aussi
être envisagée comme une mutation des industries de la
culture, de l’information et de la communication. Elle a transformé
l’offre culturelle à la télévision entraînant
un décloisonnement des genres télévisuels existants
; en effet, elle a modifié la perspective selon laquelle chaque
programme peut appartenir à un genre prédéterminé
tel le jeu, la variété, le documentaire ou encore la
fiction puisque la télé-réalité emprunte
à plusieurs d’entre eux pour constituer un genre que
l’on peut qualifier d’hybride. Cette constatation a eu
des impacts au niveau juridique puisqu’un contentieux relatif
à la qualification en œuvre audiovisuelle d’une
émission de télé-réalité a, dans
un premier temps, révélé les imprécisions
de cette notion d’œuvre audiovisuelle, et a été,
dans un second temps, l’occasion de préciser cette notion.
Concernant les imprécisions de la notion d’œuvre
audiovisuelle, elles sont la conséquence d’une double
qualification, par deux organes distincts, d’une émission
de télé-réalité en œuvre audiovisuelle
; il s’agit du CNC d’une part, et, du CSA d’autre
part. La qualification faite par le CNC avait pour objectif de déterminer
si la production de cette émission pouvait bénéficier
d’aides financières attribuées par le Compte de
Soutien des Industries de Programmes (COSIP). La qualification faite
par le CSA avait pour but de déterminer si cette émission
pouvait être prise en compte au titre des quotas de diffusion
et des obligations de productions d’œuvres audiovisuelles
imposées aux chaînes de télévision.
De plus, il faut noter que cette qualification a été
très controversée puisque deux recours, l’un contre
la décision du CNC, et l’autre contre celle du CSA, ont
été engagés ; le Conseil d’Etat a confirmé
la position prise par le CSA et le Tribunal administratif de Paris
a annulé la décision du CNC.
Concernant l’occasion de préciser la notion d’œuvre
audiovisuelle, elle est le résultat d’une prise de conscience
de la nécessité d’une telle évolution puisque
de nombreuses définitions différentes coexistent alors
qu’elles obéissent à des logiques opposées
et indépendantes les unes des autres (le droit de la propriété
littéraire et artistique, le droit de la communication audiovisuelle).
Pour trouver une solution aux problèmes posés par les
insuffisances et les imprécisions de la définition de
l’œuvre audiovisuelle, une consultation massive a été
engagée dès 2001, après la décision prise
par le CNC ; un rapport a été rendu dès mars
2002 et a conclu à l’engagement d’un nouveau cycle
de concertation avec les parties intéressées. Un certain
nombre d’hypothèses ont été proposées
pour faire évoluer la notion d’œuvre audiovisuelle
mais les solutions retenues par les acteurs consultés ont été
sans surprises et peu appropriées à la télé-réalité.
Depuis octobre 2005, le CSA a annoncé le lancement d’une
série d’auditions avec les acteurs de l’audiovisuel
(créateurs, producteurs, diffuseurs…etc.) qui doit être
suivie d’un rapport remis au Ministre de la culture et de la
communication dans le but de réformer et de préciser
enfin la notion d’œuvre audiovisuelle.
Au-delà du débat juridique sur la notion d’œuvre
audiovisuelle qui se poursuit toujours après quatre ans, il
faut analyser la télé-réalité comme une
réelle mutation tant sur le plan économique que sociologique.
« Le corps textuel de la télévision
canadienne »
Rebecca Sullivan
University of Calgary - Faculty of Communication and Culture, Canada
Le but de cet article est de défier le cadre dominant des
études de la télévision au Canada dont la tendance
est d’examiner les aspects politiques et économiques
de la réglementation de ce médium en se basant sur des
hypothèses technologiquement déterministes qui expliquent
le rôle et les usages de la télévision en fonction
des buts officiels du gouvernement. Dans ce corpus de recherches,
les questions culturelles sur le contenu des programmes de télévision,
ses audiences et les discours sociaux qui l’entourent n’ont
pas une place aussi prépondérante que les questions
qui portent sur les réseaux, la politique, la technologie et
le rôle de l’État. Maurice Charland (2005) a caractérisé
cette tendance comme « un nationalisme technologique »
; selon ce concept, l’infrastructure même sert comme lieu
de la naissance d’une rhétorique nationaliste.
En revanche, je soutiens, comme Jeffrey Sconce, l’argument
que la télévision ne doit pas être vue comme un
« problème » technologique à corriger, mais
comme « un corps textuel » à engager (2004, 94).
Comprendre la télévision comme un corps textuel entame
l’exploration de la façon dont elle médie des
relations symboliques de pouvoir. Plus que n’importe quel autre
médium de communication, peut-être, la télévision
a occupé une place centrale dans les discours nationalistes
au Canada, quoique d’une manière conflictuelle voire
contradictoire. C’est un des média les plus réglementés
au Canada avec des règles strictes de propriété
et de contenu ; cependant, la programmation de la télévision
canadienne est rarement visionnée par les audiences domestiques.
Pour arriver au cœur de ce problème, une approche culturelle
et critique est requise. Il faut donc examiner le « texte »
de la télévision dans le contexte social et historique
de ce médium au Canada qui l’institue comme, à
la fois, une entreprise privée profitable et un intermédiaire
public entre l’État et les citoyens. Il faut davantage
analyser les discours extra-textuels sur la télévision
qui proviennent de la part des parties intéressées tels
les producteurs culturels, les lobbyistes et les audiences.
À cette fin, j’initierai mon enquête avec une
analyse du rapport le plus récent sur l’état de
la radiodiffusion canadienne intitulé « Our Cultural
Sovereignty » (« Notre souveraineté culturelle
») (2003) qui s’inscrit dans une longue liste de documents
proclamant la nécessité des mesures protectionnistes
qui privilégient un point de vue homogène de l’identité
nationale canadienne. Pour dévoiler les hypothèses idéologiques
implantées dans cette vue dominante de la télévision,
j’offrirai d’abord un bref aperçu historique des
arguments politiques et économiques qui sont en faveur de cette
position. Je lancerai, après, un défi de cette notion
en m’appuyant sur des cas importants qui illustrent comment
des audiences multiculturelles ont vu leur accès à certains
canaux télévisuels refusé au nom de l’unité
nationale. Mes conclusions porteront sur ces nouveaux défis
qui confrontent les projets nationaux de télévision
dans la foulée de la mondialisation et de la mobilité
croissante des textes et de leurs publics. L’enjeu est le rôle
de la télévision dans la construction de l’espace
public, des territoires symboliques et des relations entre les audiences
et les contrôleurs d’accès à la culture.
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