« La légitimité
culturelle et « la nouvelle bande dessinée » »
Bart Beaty
Université de Calgary, Canada
Au cours des quinze dernières années, un grand nombre
d’artistes d’Europe occidentale ont renversé, avec
leurs pratiques de travail, les traditions qui ont dominé le
domaine de l’édition de la bande dessinée depuis
la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ces artistes ont rejeté
non seulement la forme traditionnelle de la bande dessinée
(des albums en couleur, reliure caisse) mais aussi leur contenu (des
histoires humoristiques ou d’aventure destinées généralement
aux enfants) et ils ont cherché à aligner le champ plus
étroitement avec les tendances expérimentales et avant-gardistes
des arts visuels. En particulier, ces bédéistes utilisent
le concept du livre d’artiste comme un moyen de distinguer leur
pratiques culturelles de celles qu’ils rejettent, or, il s’agit,
essentiellement, de la distinction entre art et culture populaire.
Bref, des bédéistes associés à différents
centres d’art autogérés coopératifs qui
publient de la bande dessinée tels que l'Association, Frémok
et Drozophile, ont voulu transformer un aspect de la culture populaire
traditionnellement perçu comme dégradé en non-populaire
en le modifiant à travers des valeurs empruntées au
champ de consécration de l’art cultivé.
L’émergence de l’industrie des petites maisons
d’édition (ou des centres d’art autogérés)
comme une force culturelle à la fin des années 1990,
a poussé les éditeurs de la bande dessinée les
plus larges et établis en Europe, en France et Belgique notamment,
à prendre le relais de ce mouvement pour leurs gains. En conséquence,
de nombreux artistes indépendants ont migré vers de
grandes maisons d’édition où ils se sont lancés
dans la production de nouveaux ouvrages. Ces œuvres-là
synthétisent l’esthétisme du petit éditeur
tout en s’inscrivant dans le modèle dominant de la production
de la bande dessinée franco-belge (des albums en couleur, reliure
caisse) et dans les contraintes génériques traditionnellement
associées aux grands éditeurs (des histoires d’humour
et d’aventures pour les enfants). La collision de ces deux forces
a donné comme résultat une forme originale de production
de la bande dessinée qui est souvent appelée «
la nouvelle bande dessinée ».
Cet article examinera la portée de « la nouvelle bande
dessinée » et son impact sur le genre comme un champ
de la production culturelle contemporaine. En particulier, l’article
analysera le noyau des bédéistes qui ont migré
(en part ou complètement) de la coopérative autogérée
l’Association située à Paris vers Dargaud, un
grand éditeur de la bande dessinée qui fait partie du
conglomérat Média-Participations. Parmi ces bédéistes
figurent les noms de Lewis Trondheim, de Joann Sfar et de David B.
Je questionnerai comment la production de ces artistes est mobilisée
pour maintenir des notions d’authenticité et de légitimité
dans le champ culturel et, de plus, comment leur position intermédiaire
entre des éditeurs met en évidence les divisions dominantes
dans le champ tel qu’il existe aujourd’hui. Finalement,
je m’arrêterai aussi sur la notion de la valeur culturelle
d’un champ de production culturelle qui a été
traditionnellement marginalisé.
« L’accès à la
parole :
la publication politique des éditeurs engagés - Édition
indépendante et politique en France (1996-2006) »
David Douyère / Luc Pinhas
Université Paris 13 – LABSIC - MSH Paris Nord, France
RESUME EN ATTENTE
« Une grande maison d’édition
et le rapport à l’économie : les éditions
La Découverte »
Camille Joseph
EHESS, Paris, France >>> Télécharger le texte de la communication
En 1983, les Editions de la Découverte ont pris le relais
des Editions François Maspero (créées en 1959),
petite maison d’avant-garde politique. En 1998, La Découverte
a été intégrée au groupe Havas (devenu
Vivendi Universal Publishing début 2001, puis Editis en 2003).
Les Editions La Découverte, en tant qu’éditeur
particulièrement engagé dans la publication d’ouvrages
« subversifs », est une maison d’édition
prise dans la polarité entre des contraintes économiques
et des intérêts symboliques. Cette maison d’édition
qui appartient à un grand groupe financier (Editis, propriété
du holding Wendel Investissement), représente un objet d’étude
particulièrement approprié : elle réunit les
contradictions à l’œuvre dans les représentations
des éditeurs de livres « subversifs » sur leur
métier.
En effet, le discours des éditeurs sur les exigences de rentabilité
est mêlé d’affirmations apparemment contradictoires.
Cela tient à la présence concomitante de deux valeurs
symboliquement exclusives dans les représentations d’un
éditeur d’un « grand groupe » : le désintéressement
qui légitime le métier d’éditeur (intérêt
symbolique) et l’intérêt au profit définissant
l’entreprise capitaliste (intérêt économique).
Si les éditeurs reconnaissent qu’il est impossible de
négliger les impératifs commerciaux, ils préfèrent
mettre en avant leur désintéressement. Les éditeurs
des grandes maisons d’édition essaient d’évacuer
la présence des impératifs de rentabilité en
les présentant comme des contraintes extérieures qu’ils
subissent, mais contre lesquelles ils essaient de lutter. Ne pas tenir
compte des impératifs de gestion relève dès lors
de l’héroïsme. En effet, la « résistance
» face à la « loi du commerce » confirme
la légitimité des éditeurs, en particulier ceux
qui publient des ouvrages anti-capitalistes. Leur permanente mise
en scène ostentatoire de la distance qu’ils entretiennent
avec l’activité économique quotidienne contribue
au discours de légitimation du champ éditorial lui-même.
A partir d’une enquête de terrain sur les Editions La
Découverte, ma communication s’attachera à décrypter
la façon dont une maison d’édition appartenant
à un grand groupe financier gère son image symbolique.
Cela devrait être l’occasion de discuter de la validité
de la thèse selon laquelle la période récente
aurait été caractérisée par une «
financiarisation » de l’économie des maisons d’édition.
J’essaierai de montrer, en m’appuyant sur l’étude
des catalogues, qu’il faut être prudent dans la façon
de mesurer les contraintes économiques et leur impact réel
sur les choix éditoriaux. Mon exposé sera largement
basé sur des entretiens réalisés avec des éditeurs,
entretiens qui révèlent que l’envahissement des
rapports marchands - dont il n’est pas question de minimiser
l’importance - dans leur côté du champ éditorial
rend de plus en plus nécessaire la lutte interne pour le pouvoir
symbolique.
« Hachette-Lagardère-Vivendi
Universal, 1826-2006 :
près de 200 ans au service de l’industrialisation de
la culture »
Karine Taveaux-Grandpierre
Université Paris 13, LABSIC, IUT de Bobigny, France
>>> Télécharger le texte de la communication
La maison Hachette, créée en 1826, devenue Lagardère-Vivendi
Universal, manifeste les stigmates des industries de la culture :
ainsi le rapprochement du groupe livres-presse-diffusion du pôle
financier et militaire de Matra-EADS. On peut se demander si les diversifications
internationale et médiatique du groupe Lagardère n’ont
pas contribué à un appauvrissement de la culture au
profit du divertissement et des gains financiers. Ses prises de participation
dans tous les domaines médiatiques et les technologies émergentes
notamment posent la question de la pluralité des points de
vue : comment peut-on s’informer et donc penser en dehors des
grands groupes, n’existe-t-il pas un danger lorsque du livre
scolaire aux revues numérisées nouvelle génération
on ne peut accéder qu’à une information partiale,
élaborée et diffusée par un groupe engagé
dans le domaine militaire, n’est-ce pas là un nouvel
enjeu ?
Cette intervention se propose d’étudier d’un point
de vue historique la naissance d’une entreprise d’édition
devenue industrie de la culture pour survivre et pour croître
en s’employant à maintenir un monopole toujours en expansion.
Il s’agira de comprendre si la survivance du nom « Hachette
» dans ce groupe n’est qu’une façade culturelle
et quelles stratégies sont développées pour la
renforcer.
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